Dans un monde soumis au règne de la complexité, rien ne paraît plus difficile que la simplicité.
On prendrait presque la simplicité pour de la naïveté, quand ce n’est pas de la bêtise. De fait, la simplicité n’est pas au programme des vertus cardinales ou théologales.
Il est vrai que toute seule, la simplicité semble bien légère. On peut être simplement égoïste, volage ou brutal. Se donner tel que l’on est, sans ruse ou détour encombrant, ne manque sans doute pas de charme, mais ne suffit pas à rendre vertueux.
Si la simplicité s’oppose à la pensée calculatrice, à la duplicité et à la prétention, elle ne peut devenir une vertu intellectuelle, morale et spirituelle que dans la mesure où elle s’allie à d’autres forces de l’esprit qu’elle oriente alors vers l’essentiel. A
lliée à l’intelligence, la simplicité devient un art de dégager d’une réalité problématique des idées claires et compréhensibles par tous. Alliée à la justice, elle dénoue des situations conflictuelles dans lesquelles un esprit trop raide se laisse facilement embourber.
Alliée à l’amour, elle tranche avec les nœuds gordiens inhérents à l’ambivalence et à la confusion des sentiments.
Alors la simplicité s’apparente à cette « faculté d’attention » chère à Simone Weil, cette qualité du regard et de l’écoute, cette présence au monde suffisamment détachée de soi pour opérer l’air de rien de véritables petites révolutions dans le domaine de la pensée, de l’art ou dans la vie quotidienne, en rappelant à la vie des êtres pétrifiés dans l’angoisse.
La simplicité comme vertu est le fait d’« une âme qui s’ouvre » dirait Bergson, d’une âme qui ne se cramponne pas à ses blessures, à ses possessions, à sa réputation, parce qu’elle ne se sent plus obligée de tout résoudre ou supporter par elle-même et qu’elle consent à s’en remettre à un autre.
N. S-L. « La simplicité » Dans Études 2010/9 (Tome 413), pages 235 à 243